Démarche
Quand la France a ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, des milliers d’opposants sont descendus dans la rue, notamment à l’initiative des mouvements catholiques. Ces derniers y ont vu l’occasion de défendre un modèle familial qui, sous le slogan « Un papa, une maman, des enfants », prétendait appeler à défendre l’héritage de la Sainte Famille, et jusqu’à même sa descendance. En ont découlé une série de débats qui ont révélé le fossé entre l’Église et les autres.
C’est dans ce contexte que Simone de’ Carli propose de combler l’écart, de renouer un dialogue rompu. Sa série lance un appel à ressortir les évangiles. À la manière de Caravage, qui pour rapprocher la religion du peuple a entrepris au XVIIe siècle d’humaniser les saints pour les rapprocher des hommes, SDC propose, par l’actualisation piquante des chefs-d’oeuvres d’antan, de désacraliser pour mieux se comprendre.
Sa sélection des tableaux de la Renaissance italienne est dessinée à l’ordinateur et ensuite peinte à l’acrylique sur toile ou simplement imprimé sur du papier. Il emprunte aussi – aux courants plus récents – les lignes d’Arp et de Miró, les formes de Lewitt, les collages colorés de Matisse et les pictos de Keith Haring. La Pop Art et ses bulles lui viennent en aide pour dévoiler jusqu’aux pensées les plus intimes des saints, faisant parler les images pour rappeler une proximité oubliée.
SDC tente ici une contre-tendance, une contribution à l’élargissement de la perception traditionnelle de la famille – et ainsi, plus généralement de toute notre société – imposée par le temps et les conventions, par une vision réductrice et une certaine paresse dans l’interprétation de la métaphore biblique. La Sainte Famille trouve, dans la collection ci-présentée, l’occasion de se renouveler. Elle est l’objet principal de la totalité des tableaux sélectionnés par l’artiste, puis revisités.
Car si la Sainte Famille reste une référence pour ses valeurs de rectitude, de dévotion, de générosité et d’amour parental, SDC veut rappeler que Jésus, Marie et Joseph composaient un ensemble plutôt excentrique auquel il y a fort à parier que les catholiques d’aujourd’hui fermeraient leur porte. Joseph n’était que le père putatif de Jésus, pas le naturel. Dans les écritures, il est décrit comme un vieillard, cela pour renforcer le message qu’il n’est pas question, entre les deux époux, de rapport sexuel. Sa femme, Marie, est aussi sa cousine. Elle a 14 ans lorsqu’elle tombe enceinte et, souhaitant pourtant rester vierge à vie, finit par être la première mère porteuse de l’histoire en faisant un enfant hors-mariage, de surcroît avec un inconnu.
Sous cet angle, la Sainte Famille, apparaît décidément peu conventionnelle, même avant-gardiste. Elle est, en tout cas, proche des coutumes de notre XXIe siècle.
En l’illustrant, SDC reprend les armes de l’Église contre elle. L’art, ce même porte-voix qui dans l’histoire a servi de moyen de communication avec les masses, contribuant tour à tour à rendre les esprits plus étroits puis à les élargir en outrepassant les limites, sert à lancer un cri moderne. Les tableaux qui ont jadis servis à parler aux croyants sont recyclés. La provocation est poussée jusqu’à évoquer des possibles tendances homosexuelles des personnages.
Marie et Joseph revendiquent désormais leur côté « outsider ». Ils pensent haut et fort, ils ne sont plus absorbés uniquement
par un mysticisme religieux.
En trouvant la parole, ils confessent leurs pensées glissantes qui les ramènent vers les désirs sexuels de ce bas-monde. En accolant une couche de familiarité aux oeuvres – couleurs criardes, bulles de bande dessinée, name-dropping de célébrités – SDC interpelle le spectateur et ravive le dialogue avec les personnages.
Dotés ici d’un réalisme peu orthodoxe, les saints, choisis par Dieu mais rapprochés davantage de l’homme, invitent à (re)découvrir le message original des écritures. Tout type de famille y est accepté, tant qu’y figurent l’amour et la renonciation de soi au soutien d’un enfant, biologique ou pas. SDC revendique, dénonce. Surtout, il lance une mise en garde : manipuler l’image de la famille peut se retourner contre vous !